Fondé sur l'association artificielle de deux nations principales, l'une arabe et l'autre maronite (chrétiens d'Orient), le Liban nous est présenté régulièrement et sans complexe comme un modèle de coexistence multiconfessionnel. En réalité, ce n'est qu'un pays ingouvernable, dont l'État est virtuel ; un terrain de jeux où les puissances voisines viennent régler leurs comptes par l'intermédiaire de leurs alliés locaux. Cette coexistence est d'ailleurs si parfaite qu'elle provoque une guerre civile tous les vingt ans.

C'est ainsi qu'au début du mois de novembre, le Premier ministre Saad Hariri était invité par son mentor saoudien à présenter sa démission. Voilà un fait banal au Liban : depuis son indépendance, les Premiers ministres libanais, sauf quelques exceptions, étaient faits et défaits par des puissances étrangères. Ce fut d'abord l'Égypte de Nasser et, depuis quelque temps, l'Arabie saoudite. De même que le président du Parlement (musulman chiite) et le président chrétien (depuis la fin de la guerre civile en 1991) sont élus sous pression étrangère (syrienne ou iranienne).

C'est l'annonce de sa démission depuis Riyad qui a le plus surpris les observateurs et alimenté toutes sortes de rumeurs sur son éventuelle arrestation, d'autant plus qu'elle suivait un mini-coup d'État de palais au pays de l'or noir.

En effet, la veille de cette déclaration, le jeune dauphin du royaume, Mohammed ben Salmane, venait de lancer une série d'arrestations et de limogeages au nom d'une purge anticorruption.

En coulisses, l'affaire est plus complexe. La gouvernance du royaume saoudien a toujours été fondée sur le compromis entre les divers clans de la famille royale et appuyée sur la doctrine wahhabite et ses lois religieuses. Cela produisait de l'immobilisme quant aux réformes intérieures et un double langage sur le plan de la politique étrangère : alliés des États-Unis et financiers des groupes islamistes dans le monde entier.

Derrière la déclaration de son soutien indéfectible, Donald Trump avait mis en garde le roi d'Arabie avant cet été : il faut réformer la religion musulmane et mettre de l'ordre dans le régime, faute de quoi l'Amérique lâcherait son allié historique.

En conflit avec son hégémonique voisin persan, le royaume n'avait pas le choix : jouer la carte américano-israélienne ou faire le deuil de son ambition de puissance régionale.

Il n'y eut pas d'hésitation : l'ascension de son fils au poste de dauphin en quelques mois, la mise au pas de la police religieuse et d'autres réformettes en faveur des droits des femmes n'étaient que les prémices d'une mini-révolution à venir. Le but ? Centraliser le pouvoir aux mains du futur roi afin de faciliter les réformes et, surtout, reverser intégralement les ressources pétrolières, jusqu'alors distribuées comme des dividendes aux membres de la famille royale, à l'État.

Mais cette démonstration de force intérieure devait aussi être marquée par un durcissement sur le plan de la politique étrangère. L'heure est à l'escalade avec l'Iran. En accord avec les Israéliens, inquiets du surarmement des milices pro-iraniennes à leurs frontières et des Américains qui voient d'un mauvais œil le croissant chiite prendre forme au Levant, il fallait mettre un terme à tout compromis favorable au régime des ayatollah afin de les isoler, les diaboliser et légitimer toute attaque contre leurs alliés.

Le gouvernement de coalition libanais dans lequel toute la classe politique du pays est représentée était une aubaine pour le Hezbollah pro-iranien, il lui fournissait une couverture légale très utile pour sa défense et une légitimité pour mener ses actions militaires.

La démission du Premier ministre depuis l'Arabie saoudite est un message sans ambiguïté : il s'agit de montrer brutalement qui est aux commandes, c'est un tir de sommation.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:41.

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14 novembre 2017 à 11:12

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