Et si on arrêtait d’appeler l’affaire qui secoue la France depuis trois jours l'« affaire Benalla » ? Benalla qui, au moment où ces lignes sont écrites, doit être présenté à un juge avec son petit camarade Vincent Crase, salarié de La République en marche, et trois policiers. En effet, comme l’a suggéré Marine Le Pen, cette affaire ne prend-elle pas un tour qui nous permet désormais de la qualifier d’« affaire Macron » ou, tout du moins, d’« affaire Benalla-Macron » ou d’« affaire Macron-Benalla » ?

On connaît le vieil adage : "La femme de César ne doit pas être soupçonnée." Quel rapport, me direz-vous, avec l’affaire en cours ? Alexandre Benalla n’est pas la femme d’Emmanuel Macron, que l’on sache ! Plutarque prête ces mots à César, alors souverain pontife de Rome, lorsqu’il répudia sa deuxième épouse Pompeia Sulla, soupçonnée de l’avoir trompé avec Clodius Pulcher. Proche du pouvoir, Pompeia ne pouvait être suspectée. Aussi, César s’en sépara sans délai. Plus largement, l’entourage du pouvoir doit être irréprochable : c’est le sens qu’a pris avec le temps cette maxime héritée de la République romaine qui n'était pas "inaltérable" mais avait ses principes. Certes, César avait peut-être une autre idée en tête, mais ça, c’est une autre histoire… On pourrait, bien sûr, faire une lecture cynique de l’adage : les personnalités qui gravitent autour du pouvoir sont intouchables par construction car, suspectées de turpitude, c’est le pouvoir lui-même qui risquerait d’être éclaboussé. Mais peut-on imaginer, dans la « République irréprochable », que l’Élysée ait voulu cacher cette affaire qui remonte tout de même à bientôt trois mois maintenant ?

Évidemment, Alexandre Benalla n’est pas la femme d’Emmanuel Macron, disions-nous, mais l’on est tout de même un peu consterné qu’un gaillard de ce tonneau, jugé pour violences sur une femme en 2015, ait pu devenir un proche de celui qui a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une grande cause de son quinquennat. Objection : Benalla a été relaxé en 2016 et, d'ailleurs, qui nous dit que, les yeux dans les yeux, selon la formule consacrée depuis l’affaire Cahuzac, dans le secret du bureau présidentiel, l’intéressé n’a pas juré à son chef qu’il était blanc comme neige dans cette affaire… Mais "la femme de César ne doit pas être soupçonnée", principe de précaution en politique qui semble avoir été négligé. L’on apprend aussi qu'Emmanuel Macron avait confié à ce jeune homme le dossier de la réorganisation de la sécurité du Président. Un dossier d’une telle sensibilité ne peut, à l’évidence, être donné qu’à une personne d’un très haut niveau de compétence et par ailleurs investie de la plus grande confiance de la part du Président. En cela, Emmanuel Macron a failli. Et cela remet sérieusement en cause l’image de professionnalisme qui était, soit-disant, la marque de fabrique du macronisme.

Aussi, contrairement à ce que déclarait ce dimanche Richard Ferrand, l’inénarrable patron des godillots LREM à l’Assemblée, dépité que l’opposition ait obtenu une suspension des débats sur la réforme constitutionnelle, cette affaire est certes une affaire judiciaire, mais elle est aussi et peut-être surtout une affaire éminemment politique. En cela, c'est "l'affaire Macron".

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22 juillet 2018 à 19:12

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