À ce stade, il pourrait y avoir lassitude et essoufflement, et jusque dans le commentaire. Pourtant, chaque nouveau samedi d'action des gilets jaunes est unique.

Il y a, certes, des constantes : violences ici ou là de certains casseurs, mobilisations fortes dans certaines villes, comme Bordeaux ou Toulouse, chiffres officiels aussi précis que minimisés. Il y a des évolutions attendues : Valence a succédé à Bourges comme ville de rassemblement en province, baisse de la mobilisation, selon les chiffres officiels (mais, en même temps, les préfets de Bordeaux et Toulouse ont décidé de ne plus publier de chiffres...), mise en avant des blessés, avec la figure de Jérôme Rodrigues, acclamé samedi.

Mais si chaque acte est unique et mérite l'intérêt de l'observateur, c'est par la durée et le rythme inédits que ce mouvement a imposés à la vie du pays. Jusqu'au 17 novembre, et jusqu'à début janvier pour les plus sceptiques - ou les plus macroniens -, on pensait que la vie publique était rythmée par les séquences et les fenêtres médiatiques décidées par le pouvoir. Pouvoir qui espérait que les fêtes allaient tuer le mouvement en décembre, puis le début du grand débat, puis... Certains le croient encore ou essaient de le croire, mais personne n'ose s'avancer sur la fin : la clôture du grand débat et l'initiative du Président (référendum ?), les élections européennes ? Rien n'est moins sûr : ces échéances, surtout si elles étaient mal gérées ou donnaient lieu à des récupérations ou des manipulations du pouvoir, pourraient au contraire raviver l'incendie. Il faut espérer que nos dirigeants en aient conscience.

Même le grand débat, qu'il suscite méfiance ou engouement (et les deux ne sont pas exclusifs), s'il était censé éteindre le feu, ne fait que l'entretenir. D'abord, il valide l'action des gilets jaunes car même des intervenants qui leur sont hostiles reconnaissent que, sans eux, il n'aurait jamais eu lieu. Ensuite, le scepticisme et parfois la rugosité des revendications des gilets jaunes - comme la question migratoire - parviennent à s'y frayer un chemin, non sans mal. Enfin, ce débat, essentiellement animé par les élus locaux, révèle de façon nette la coupure entre la France exaspérée des gilets jaunes et ses représentants. Même ces maires, qui sont pourtant les moins mal aimés de nos élus, avouent que la situation leur échappe, comme on peut le voir dans le reportage du Monde de Patrick Roger "Sur les petites routes du grand débat".

Le temps qui passe n'est pas l'ennemi des gilets jaunes mais leur plus sûr allié, désormais. Ils sont au-delà de l'essoufflement. Ils ont mis sur la table le résultat de décennies d'évolutions et ceux qui ne voulaient pas le voir parce que, finalement, eux n'en subissaient pas de trop mauvaises conséquences sont bien obligés de regarder, d'analyser, de reconnaître qu'ils ont très souvent raison, chacun avec ses chiffres, son expérience, son sentiment d'injustice - ou ses blessures. Et c'est forts de ce concret qu'ils ont imposé leurs thèmes et, en dernier lieu, ce débat sur le maintien de l'ordre et l'usage de certaines armes contre eux.

Ce climat n'a pas fini d'infuser dans l'opinion publique, entraînant inévitablement un questionnement de plus en plus explicite sur les responsabilités des dirigeants français ayant causé cette situation. Emmanuel Macron, d'abord, dont la demande de démission ne s'essouffle pas. Il semblait avoir compris que l'heure était venue du mea culpa et du profil bas. Signe de ce nouvel état d'esprit : même François Hollande, dans un entretien au journal belge Le Soir, a lui aussi déclaré samedi : "Comme acteur politique qui a exercé le pouvoir, j'ai ma part de responsabilité."

L'acte XII n'était donc pas le dernier.

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03 février 2019 à 9:59

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