Boudant le Festival de Cannes depuis qu’il récompense abondamment la pensée conforme au lieu de la qualité cinématographique – le dernier palmarès l’atteste une nouvelle fois –, je me suis toutefois imposé de regarder la remise des prix.

Parmi les lauréats, il y avait le film 120 battements par minute, de Robin Campillo, évoquant l’activisme d’Act Up dans les années 1990, et coécrit par Philippe Mangeot. Sa présence, ce soir-là, dans la salle du palais des festivals, m’a frappé comme une réminiscence proustienne de mon passé estudiantin.

Ce nom m’évoquait des cours passionnants, dont « L’écriture de l’utopie chez Jules Verne » et « L’écriture de l’océan dans la littérature du XIXe siècle ».

Hélas, Philippe Mangeot était un activiste, dont il possédait la panoplie complète, séducteur en diable de surcroît, capable d’influencer des esprits fragiles. Ainsi, un soir que nous l’écoutions religieusement parler littérature, il s’interrompit pour nous confier pêle-mêle qu’il était homosexuel, séropositif et militant d’Act Up, nous invitant même à participer à une manifestation.

J’y suis allé, à cette manifestation, assistant alors à un déferlement d’effets chocs, certains horribles – des malades en fauteuil-roulant, si maigres et fatigués que je me demandais pourquoi leur infliger ça –, avec une violence vindicative, la Manif pour tous en fit plus tard les frais. Là, rue de Rennes à Paris, mon prof, transfiguré, avait les yeux brillants d’un leader exalté et effrayant.

Philippe Mangeot, c’était aussi une idéologie politique qui se déversait à tout propos en cours. Un jour, en l’entendant invectiver les Serbes – nous étions en pleine guerre d’ex-Yougoslavie –, j’essayai de tempérer sa rage, lui rappelant que Croates et Bosniaques avaient, durant la Seconde Guerre mondiale, joliment flirté avec le nazisme. Ce à quoi il me répondit : "Je m’en fous de ce qu’ils ont fait autrefois ; ce qui m’intéresse, c’est maintenant !" Immédiateté, urgence à vivre aussi, de peur que la maladie ne le rattrape, je veux bien. Cependant, nous étions là pour la littérature et pas pour militer, à gauche toute de préférence !

Plus tard, il est devenu à son tour président d’Act Up, cédant une nouvelle fois à ses pulsions en faisant distribuer un tract provocateur, « J’aime l’ecstasy », au mépris des ravages de la drogue.

Quant au film proprement dit, j’attends de le juger sur pièce. Mais je ne me fais pas beaucoup d'illusions, sachant de quelle imagination il est sorti.

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30 mai 2017 à 1:46

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